lundi 4 mai 2009

Meilleurs albums de 1971 : What's Going On



Avec What's Going On, Marvin Gaye s'affranchit de la Motown pour concevoir et produire un album à sa guise. Le résultat est un monument de soul qui changera à jamais la face de la musique noire, tant dans la forme que dans le contenu, traçant la voie pour Stevie Wonder ou Michael Jackson.

A années exceptionnelles, traitement exceptionnel. Tout comme 1970, et peut-être même encore plus, 1971 contient tellement de chefs d'œuvre que deux chroniques d'albums seront le minimum syndical. Car il aurait été trop difficile de choisir entre Led Zeppelin IV et What's Going On, sans parler d'autres pépites de 1971 déjà chroniquées ou non dans ces pages (voir plus bas).

Les années 1970 commencent plutôt mal pour Marvin Gaye. Son amie Tammi Terrel, avec laquelle il chanta de nombreux duos pour la Motown, meurt cette année-là d'une tumeur cérébrale à l'âge de 24 ans. Ce tragique décès plonge Marvin dans une profonde dépression. Il décide d'arrêter la scène et songe même à se faire footballeur. Son mariage avec Anna, sœur de son boss Berry Gordy, bat de l'aile, sa consommation de cocaïne augmente et le fisc est à sa porte.
Et ses rapports avec le même Berry Gordy sont de plus en plus tendus. Un temps tenté par une carrière de crooner sentimental, sorte de Sinatra noir, Marvin Gaye en a marre de ne chanter que des chansons d'amour, et rêve de produire et d'écrire lui-même ses albums.
"En 1969 ou 70, j'ai commencé à repenser entièrement ce que je voulais dire dans ma musique.. J'étais très affecté par les lettres que mon frère m'envoyait du Vietnam, et aussi par la situation sociale chez nous. Je me suis rendu compte qu'il fallait que je mette de côté mes rêves et mes fantasmes si je voulais écrire des chansons qui toucheraient l'âme des gens. Je voulais vraiment attirer leur regard sur ce qui se passait dans le monde."
Tout le projet de What's Going On est là. Ce n'est certes pas tout à fait le premier album de soul à aborder ces sujets (Curtis Mayfield l'a précédé d'un an), mais Marvin pousse l'art à des hauteurs insoupçonnées. Mais pour obtenir le droit de faire "son" album, il va devoir batailler dur avec Gordy, accroché à une vision un peu dépassée du succès commercial et du politiquement correct. Après avoir co-écrit (avec notamment un des Four Tops), enregistré et produit le morceau-titre en 1970, Marvin le présente à Gordy qui finit à grand regert par accepter de le sortir, persuadé que le 45 tour sera un bide.
Erreur d'appréciation : "What's Going On", le single, reste cinq semaines en tête des charts R&B, et trois à la deuxième place des classements pop.

Du coup Gordy, en bon commercial, demande un album entier, et Marvin l'enregistre à Detroit, dirigeant enfin la fabuleuse équipe des Funk Brothers, les musiciens de studio de la Motown, qui seront crédités sur l'album, et ce pour la première fois dans l'histoire de la firme. L'immense James Jameson à la basse, des pointures comme Earl Van Dyke aux claviers, James Messina à la guitare, avaient joué sur plus de numéros uns que les Beatles, Elvis, les Stones et les Beach Boys réunis, et ce dans le plus parfait anonymat …
Ecrit du point de vue d'un soldat de retour du Vietnam, l'album est une suite de chansons qui s'enchaînent, sans transition, créant une gigantesque suite au rythme aérien, portée par des violons et d'innombrables chœurs sur un tapis de basses et de congas, à la fois sensuelle et mystique. La voix de Marvin, couvrant trois octaves, fait des merveilles. Parfois plusieurs lignes vocales se superposent , se répondent, se font écho, créant des harmonies complexes et magnifiques. Côté thèmes, toutes les angoisses de la décénnie y passent : la guerre (What's Happening Brother), la drogue (Flyin' High), l'écologie menacée (le superbe Mercy Mercy Me), la violence des ghettos (Inner City Blues) et celle entre les générations (What's Going On). Le recours passe par la réconciliation, avec Dieu et avec ses proches, chose à laquelle, malheureusement, Marvin ne parviendra jamais dans la vie réelle, et sa fin tristement connue en témoignera.

Chez Marvin Gaye, incapable de vivre une vie équilibrée et tranquille, la musique était le seul moyen d'exorciser et de sublimer le mal-être. Retenons de lui ces cadeaux que sont ses albums, malgré leur aspect apaisé et élégant, sont pourtant nés le plus souvent dans la douleur.



Autres grands albums de 1971

The Who – Who's Next
Serge Gainsbourg – Histoire de Melody Nelson
David Bowie – Hunky Dory
The Rolling Stones – Sticky Fingers


Découvrez Marvin Gaye!

3 commentaires:

-Twist- a dit…

Magnifique papier! Appris plein de choses. Bien documenté.
Ce disque est phénoménal de toutes façons (mais le Marvin en compte pas mal à son palmarés. Let's Get It On pour moi reste son plus grand album. C'est mon côté chaud lapin). Je ne savais pas qu'il avait autant galéré avec Gordy pour le sortir.

Par contre, ça:

"Il décide d'arrêter la scène et songe même à se faire footballeur."

C'est vrai? :))

Nicolas a dit…

Salut Twist et merci
Faut que j'alimente un peu par ici, mais mes autres projets me tiennent un peu éloignés de cette rivière-là

Oui bien sûr Marvin adorait le football (américain, s'entend)

extrait de Wikipedia (confirmé par ailleurs)

"Gaye refused to record or perform, going as far as to attempt an athletic career in football with the Detroit Lions of the NFL. After an unsuccessful tryout for the team (...)"

Il était très pote avec les joueurs
D'ailleurs les mecs qu'on entend parler en background en début du morceau "What's goin'on " (Yeah, it's a groovy party man, etc..) sont des joueurs de l'équipe des Lions

-Twist- a dit…

Ah excellent. :)) Je ne savais pas.
J'ai un peu du mal à l'imaginer avec un casque sur la tête et des protège-dents!

Ps: moi aussi je n'ai pas le temps. Donc je profite de cette journée calme pour faire un peu le tour des blogs que je suivais régulièrement et que je n'ai pas le temps de suivre depuis qqs semaines. :)