Cosmo's Factory
CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL
(Fantasy, 1970)
L'année 1970 est trop riche pour une seule chronique. On retrouve donc le dernier (et peut-être le meilleur) album du quartette le plus roots du rock américain, concentré de rock'n roll brut, mélange de tubes imparables et de reprises au millimètre de standards du patrimoine rock et R&B.
"You can't judge a book by looking at its cover" disait Bo Diddley. On finira de s'en convaincre avec Cosmo's Factory, un des meilleurs albums du rock 'n' roll dans une des plus laides pochettes jamais fabriquées. Mais qu'est-il passé par la tête de John Fogerty pour accepter ça ? Bon, évidemment avec ses chemises à carreaux dans le pantalon et sa coupe au bol datant de 1965 quand tout le monde portait des fourrures, des sandales et laissait sa chevelure en friche, avec sa musique totalement dépourvue d'artifices au moment où les Pink Floyd s'enregistraient en train de prendre le petit dèj' et mettaient ça sur disque, c'est sûr que le leader de Creedence n'était pas trop porté sur les apparences. Mais quand même, ces couleurs criardes, la moquette rouge et l'inimaginable tenue du batteur Doug "Cosmo" Clifford en espèce de fuseau moule-burnes vermillon et tee shirt informe juché sur son vélo de course comme un sportif baba du dimanche, ça vaut son pesant d'or. La photo représente en fait la Cosmo's Factory, un entrepôt de Berkeley où le groupe répétait, et que le batteur avait surnommé ainsi en raison de la discipline de fer du patron, John Fogerty, qui exigeait qu'on y repétât tous les jours. L'usine, quoi.
Et justement, Creedence, en 1969 et 70, est une impressionnante usine à tubes, à albums et à tournées. Sans doute le plus grand groupe de rock de ces deux années-là, succédant souvent aux Beatles dans les référendums des lecteurs, faisant la nique aux Stones et à Led Zep. Mais qui s'en souvient aujourd'hui ? Car leur musique regardait déjà en arrière, vers la source, c'est-à-dire la marmite des musiques venues du deep South : blues, country, rhythm and blues et rockabilly. A l'époque, c'était la matrice du rock qu'on appelle aujourd'hui "classique".
John Fogerty, homme à tout faire de Creedence, composait comme un Dieu ("Lookin' Out My Back Door", "Proud Mary"), jouait de la guitare avec une énérgie et un son incroyable (l'intro de "Up Around The Bend"), chantait d'une voix qui n'avait rien à envier à Little Richard ("Travelin' Band"). Des mélodies simples, directes, avec un son qui évoquait le bayou de Louisiane et les studios Sun de Memphis mais made in San Francisco Bay.
En 1970, après deux années de tournées ininterrompues et pas moins de trois albums publiés dans la seule année 1969 (tous à acheter les yeux fermés), Creedence sort deux 45 t, "Travellin' Band" / "Who'll Stop The Rain" (numéro 2) en janvier, et "Up Around The Bend"/"Run Through The Jungle" (numéro 4) en avril. Très révélateur de l'époque, puisque les deux faces B, des pépites, auraient tout aussi bien pu sortir en single elles aussi. On calculait moins, en 1970.
Le groupe entre en studio entre deux tournées, l'album est enregistré en deux temps trois mouvements et sort le mois suivant. Pourquoi s'embêter ?
Ecouter Cosmo's Factory, c'est presque comme d'assister à une répète du groupe. Le son est brut, l'énergie est hallucinante, la voix et la guitare hurlent à qui mieux mieux, et les paroles "qu'ils écouteront quand ils seront fatigués de danser", offrent mine de rien un commentaire avisé sur l'époque de Woodstock et du Vietnam. Aux chansons de Fogerty s'ajoutent des reprises de choix : un Bo Diddley (le blues "Before You Accuse Me"), un Roy Orbison ("Ooby Dooby") au solo de guitare exécuté note pour note, un Arthur Crudup / Elvis Presley ("My Baby Left Me"), et surtout, une version très gonflée du "I Heard It To The Grapevine" de Marvin Gaye : pas moins de 11 minutes de jam débridée, mais qui tient parfaitement la route.
Et c'est l'occasion de tordre le coup à une idée reçue concernant Creedence, taxé souvent de "groupe à singles" qui remplit ses albums avec des reprises. C'est oublier un peu d'où ils viennent, c'est-à-dire d'une tradition roots où la reprise est courante, où, dans une musique aux structures variant peu, c'est l'intensité de l'interprétation qui compte, beaucoup plus que le copyright. C'est un peu comme de dire que les blues sont tous pareils, ou qu'Elvis n'est pas un grand artiste parce qu'il n'a jamais rien composé. C'est ne rien comprendre au rock des origines.
Le public, lui, s'en foutait et il avait raison : meilleure vente du groupe, Cosmo's Factory se classe n°1 aux USA, au Royaume-Uni et en Australie.
Pour Creedence, c'était déjà le chant du cygne. Apparues au grand jour pendant les sessions de l'album, les tensions internes allaient avoir raison du groupe, qui se révélera incapable de durer. Mais bon, après quatre chefs d'œuvre en deux ans, on peut les excuser..
CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL
(Fantasy, 1970)
L'année 1970 est trop riche pour une seule chronique. On retrouve donc le dernier (et peut-être le meilleur) album du quartette le plus roots du rock américain, concentré de rock'n roll brut, mélange de tubes imparables et de reprises au millimètre de standards du patrimoine rock et R&B.
"You can't judge a book by looking at its cover" disait Bo Diddley. On finira de s'en convaincre avec Cosmo's Factory, un des meilleurs albums du rock 'n' roll dans une des plus laides pochettes jamais fabriquées. Mais qu'est-il passé par la tête de John Fogerty pour accepter ça ? Bon, évidemment avec ses chemises à carreaux dans le pantalon et sa coupe au bol datant de 1965 quand tout le monde portait des fourrures, des sandales et laissait sa chevelure en friche, avec sa musique totalement dépourvue d'artifices au moment où les Pink Floyd s'enregistraient en train de prendre le petit dèj' et mettaient ça sur disque, c'est sûr que le leader de Creedence n'était pas trop porté sur les apparences. Mais quand même, ces couleurs criardes, la moquette rouge et l'inimaginable tenue du batteur Doug "Cosmo" Clifford en espèce de fuseau moule-burnes vermillon et tee shirt informe juché sur son vélo de course comme un sportif baba du dimanche, ça vaut son pesant d'or. La photo représente en fait la Cosmo's Factory, un entrepôt de Berkeley où le groupe répétait, et que le batteur avait surnommé ainsi en raison de la discipline de fer du patron, John Fogerty, qui exigeait qu'on y repétât tous les jours. L'usine, quoi.
Et justement, Creedence, en 1969 et 70, est une impressionnante usine à tubes, à albums et à tournées. Sans doute le plus grand groupe de rock de ces deux années-là, succédant souvent aux Beatles dans les référendums des lecteurs, faisant la nique aux Stones et à Led Zep. Mais qui s'en souvient aujourd'hui ? Car leur musique regardait déjà en arrière, vers la source, c'est-à-dire la marmite des musiques venues du deep South : blues, country, rhythm and blues et rockabilly. A l'époque, c'était la matrice du rock qu'on appelle aujourd'hui "classique".
John Fogerty, homme à tout faire de Creedence, composait comme un Dieu ("Lookin' Out My Back Door", "Proud Mary"), jouait de la guitare avec une énérgie et un son incroyable (l'intro de "Up Around The Bend"), chantait d'une voix qui n'avait rien à envier à Little Richard ("Travelin' Band"). Des mélodies simples, directes, avec un son qui évoquait le bayou de Louisiane et les studios Sun de Memphis mais made in San Francisco Bay.
En 1970, après deux années de tournées ininterrompues et pas moins de trois albums publiés dans la seule année 1969 (tous à acheter les yeux fermés), Creedence sort deux 45 t, "Travellin' Band" / "Who'll Stop The Rain" (numéro 2) en janvier, et "Up Around The Bend"/"Run Through The Jungle" (numéro 4) en avril. Très révélateur de l'époque, puisque les deux faces B, des pépites, auraient tout aussi bien pu sortir en single elles aussi. On calculait moins, en 1970.
Le groupe entre en studio entre deux tournées, l'album est enregistré en deux temps trois mouvements et sort le mois suivant. Pourquoi s'embêter ?
Ecouter Cosmo's Factory, c'est presque comme d'assister à une répète du groupe. Le son est brut, l'énergie est hallucinante, la voix et la guitare hurlent à qui mieux mieux, et les paroles "qu'ils écouteront quand ils seront fatigués de danser", offrent mine de rien un commentaire avisé sur l'époque de Woodstock et du Vietnam. Aux chansons de Fogerty s'ajoutent des reprises de choix : un Bo Diddley (le blues "Before You Accuse Me"), un Roy Orbison ("Ooby Dooby") au solo de guitare exécuté note pour note, un Arthur Crudup / Elvis Presley ("My Baby Left Me"), et surtout, une version très gonflée du "I Heard It To The Grapevine" de Marvin Gaye : pas moins de 11 minutes de jam débridée, mais qui tient parfaitement la route.
Et c'est l'occasion de tordre le coup à une idée reçue concernant Creedence, taxé souvent de "groupe à singles" qui remplit ses albums avec des reprises. C'est oublier un peu d'où ils viennent, c'est-à-dire d'une tradition roots où la reprise est courante, où, dans une musique aux structures variant peu, c'est l'intensité de l'interprétation qui compte, beaucoup plus que le copyright. C'est un peu comme de dire que les blues sont tous pareils, ou qu'Elvis n'est pas un grand artiste parce qu'il n'a jamais rien composé. C'est ne rien comprendre au rock des origines.
Le public, lui, s'en foutait et il avait raison : meilleure vente du groupe, Cosmo's Factory se classe n°1 aux USA, au Royaume-Uni et en Australie.
Pour Creedence, c'était déjà le chant du cygne. Apparues au grand jour pendant les sessions de l'album, les tensions internes allaient avoir raison du groupe, qui se révélera incapable de durer. Mais bon, après quatre chefs d'œuvre en deux ans, on peut les excuser..
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