mercredi 27 mai 2009

1971 : La Playlist


(avec etat-critique.com)



1. Led Zeppelin – "Stairway to Heaven" : tellement évident qu’on l’oublierait presque. Elle est tellement jouée par les apprentis guitaristes dans les boutiques de guitare que certains magasins aux States feraient payer une amende à ceux qui la jouent (cf. Wayne’s World). Sorry, la chanson ne figure pas sur la playlist Deezer ci-dessous car on n'a pas le droit de mettre du Led Zep sur les blogs sinon on meurt.

2. John Lennon – "Imagine" : le plus grand succès de l’ex Beatle, ou comment déguiser en ballade mainstream un brûlot utopique, anti-capitaliste et anti-religion

3. Al Green – "Let’s Stay Together"
4. Marvin Gaye – "What’s Going On" : ces 2-là ont beaucoup en commun, même si le Sudiste Al Green sonne plus « roots ». Entre sensualité soul et spiritualité gospel, deux chansons qui exhortent à dépasser les querelles intestines et à s'aimer un peu plus dans ce monde de brutes..

5. John Prine – "Hello In There" : totalement oublié aujourd’hui, John Prine est l’un des songwriters les plus talentueux de la scène country alternative. Témoin cette superbe méditation sur la vieillesse. Non, la country, c'est pas toujours ringard, au contraire !

Impossible à trouver sur le Net, alors je me lance, je vous mets une petite démo de cette chanson par votre serviteur (avec mon Baba qui tousse un peu derrière)

Nicolas L - Hello In There (John Prine cover)




6. David Bowie – "Life On Mars ?" : Hervé Vilard ne s’est pas trompé en plagiant ce qui reste un des sommets de Bowie, où le cabaret, Edith Piaf et Sinatra rencontrent le rock.

7. Rod Stewart – "Maggie May" : : avant de virer disco et d’arborer la coupe mulet, Rod the Mod a signé, au début des seventies, une bonne série de hits folk-rocks dont Maggie May est l’apogée

8. The Who – "Won’t Get Fooled Again" : les Who terminaient traditionnellement leurs concerts seventies avec ce flamboyant morceau et son intro mystérieuse au synthétiseur. Côté paroles, c’est plutôt la désillusion post-hippie qui règne.

9. Isaac Hayes – "Theme From Shaft" : Charleston, guitares wah-wah, cuivres, cordes, et des visions de courses-poursuites dans les rues de Harlem. Toutes les séries qu’on a vues à l’époque ont piqué à Isaac Hayes. Le morceau étalon de la Blaxpoitation.


10. Sly & The Family Stone – "Runnin’ Away" : Génie précurseur de Prince, leader d’un des premiers groupes multiraciaux, Sly Stone a su, avec George Clinton, mélanger funk, soul, rock et pop comme aucun autre.

11. Serge Gainsbourg – "Melody" : Les Ailes de la Rolls effleuraient les pylônes…superbe poème en alexandrins ouvrant son album chef d’oeuvre, « Melody » fait montre du grand talent littéraire et musical de son regretté auteur.

12. Pink Floyd – "Echoes" : On ne peut pas parler des années 70 sans évoquer le rock progressif, les morceaux qui durent toute une face de 33tours. « Echoes » en est le parfait exemple, avec ses breaks expérimentaux et son thème mélodique qui annonce Dark Side Of The Moon


Découvrez Al Green!

lundi 4 mai 2009

Meilleurs albums de 1971 : What's Going On



Avec What's Going On, Marvin Gaye s'affranchit de la Motown pour concevoir et produire un album à sa guise. Le résultat est un monument de soul qui changera à jamais la face de la musique noire, tant dans la forme que dans le contenu, traçant la voie pour Stevie Wonder ou Michael Jackson.

A années exceptionnelles, traitement exceptionnel. Tout comme 1970, et peut-être même encore plus, 1971 contient tellement de chefs d'œuvre que deux chroniques d'albums seront le minimum syndical. Car il aurait été trop difficile de choisir entre Led Zeppelin IV et What's Going On, sans parler d'autres pépites de 1971 déjà chroniquées ou non dans ces pages (voir plus bas).

Les années 1970 commencent plutôt mal pour Marvin Gaye. Son amie Tammi Terrel, avec laquelle il chanta de nombreux duos pour la Motown, meurt cette année-là d'une tumeur cérébrale à l'âge de 24 ans. Ce tragique décès plonge Marvin dans une profonde dépression. Il décide d'arrêter la scène et songe même à se faire footballeur. Son mariage avec Anna, sœur de son boss Berry Gordy, bat de l'aile, sa consommation de cocaïne augmente et le fisc est à sa porte.
Et ses rapports avec le même Berry Gordy sont de plus en plus tendus. Un temps tenté par une carrière de crooner sentimental, sorte de Sinatra noir, Marvin Gaye en a marre de ne chanter que des chansons d'amour, et rêve de produire et d'écrire lui-même ses albums.
"En 1969 ou 70, j'ai commencé à repenser entièrement ce que je voulais dire dans ma musique.. J'étais très affecté par les lettres que mon frère m'envoyait du Vietnam, et aussi par la situation sociale chez nous. Je me suis rendu compte qu'il fallait que je mette de côté mes rêves et mes fantasmes si je voulais écrire des chansons qui toucheraient l'âme des gens. Je voulais vraiment attirer leur regard sur ce qui se passait dans le monde."
Tout le projet de What's Going On est là. Ce n'est certes pas tout à fait le premier album de soul à aborder ces sujets (Curtis Mayfield l'a précédé d'un an), mais Marvin pousse l'art à des hauteurs insoupçonnées. Mais pour obtenir le droit de faire "son" album, il va devoir batailler dur avec Gordy, accroché à une vision un peu dépassée du succès commercial et du politiquement correct. Après avoir co-écrit (avec notamment un des Four Tops), enregistré et produit le morceau-titre en 1970, Marvin le présente à Gordy qui finit à grand regert par accepter de le sortir, persuadé que le 45 tour sera un bide.
Erreur d'appréciation : "What's Going On", le single, reste cinq semaines en tête des charts R&B, et trois à la deuxième place des classements pop.

Du coup Gordy, en bon commercial, demande un album entier, et Marvin l'enregistre à Detroit, dirigeant enfin la fabuleuse équipe des Funk Brothers, les musiciens de studio de la Motown, qui seront crédités sur l'album, et ce pour la première fois dans l'histoire de la firme. L'immense James Jameson à la basse, des pointures comme Earl Van Dyke aux claviers, James Messina à la guitare, avaient joué sur plus de numéros uns que les Beatles, Elvis, les Stones et les Beach Boys réunis, et ce dans le plus parfait anonymat …
Ecrit du point de vue d'un soldat de retour du Vietnam, l'album est une suite de chansons qui s'enchaînent, sans transition, créant une gigantesque suite au rythme aérien, portée par des violons et d'innombrables chœurs sur un tapis de basses et de congas, à la fois sensuelle et mystique. La voix de Marvin, couvrant trois octaves, fait des merveilles. Parfois plusieurs lignes vocales se superposent , se répondent, se font écho, créant des harmonies complexes et magnifiques. Côté thèmes, toutes les angoisses de la décénnie y passent : la guerre (What's Happening Brother), la drogue (Flyin' High), l'écologie menacée (le superbe Mercy Mercy Me), la violence des ghettos (Inner City Blues) et celle entre les générations (What's Going On). Le recours passe par la réconciliation, avec Dieu et avec ses proches, chose à laquelle, malheureusement, Marvin ne parviendra jamais dans la vie réelle, et sa fin tristement connue en témoignera.

Chez Marvin Gaye, incapable de vivre une vie équilibrée et tranquille, la musique était le seul moyen d'exorciser et de sublimer le mal-être. Retenons de lui ces cadeaux que sont ses albums, malgré leur aspect apaisé et élégant, sont pourtant nés le plus souvent dans la douleur.



Autres grands albums de 1971

The Who – Who's Next
Serge Gainsbourg – Histoire de Melody Nelson
David Bowie – Hunky Dory
The Rolling Stones – Sticky Fingers


Découvrez Marvin Gaye!

Meilleurs albums de 1971 : Led Zeppelin IV



En 1971, le dirigeable atteint sa vitesse de croisière, et vole à des sommets jusque-là inexplorés. Mais qu'est-ce qui fait donc la grandeur de cet album-phare des seventies ? Décorticage express.


1971… Encore une année monstre par le nombre d'excellents albums sortis. Alors pour une année monstre, il est logique d'élire un album-monstre. Monstre par son chiffre de ventes, par sa notoriété, par son influence et bien sûr monstre de qualité et de maîtrise sonore et visuelle.
Led Zep, avec ce quatrième album sans nom, sort son chef d'œuvre absolu. Synthèse ou plutôt alchimie totale de ce que tout le groupe avait bâti jusque-là : hard rock, blues, et folk britannique, avec ce côté sombre et magique qui fascine (ou énèrve : chez les punks, ça passe moyen..). Alors bien sûr on peut toujours en préférer un autre, mais celui-ci il faut bien l'admettre, concentre tout ce qui fait la légende du Zep, mais aussi du hard rock en général.
Il existe des tas de raisons d'aimer Led Zep IV. Examinons-en quelques-unes, en commençant par ce qui saute aux yeux.
D'abord, bien sûr, la plage n°4. Chanson ultime des seventies, chanson la plus diffusée de tous les temps par les radios FM américaines, "Stairway To Heaven" reste, qu'on le veuille ou non, un des grands chefs d'œuvre de Led Zeppelin, même si Plant, un peu blasé, avait fini par l'appeler "la p.. de chanson de mariage" (bloody wedding song) . Déjà à l'époque, le groupe, conscient de son pouvoir d'attraction, avait refusé de la sortir en single, pour amener les fans à écouter le reste de l'album.
Ensuite, évidemment, la pochette. Sans nom de groupe, sans titre d'album. Les professionnels du disque avaient hurlé, parlant de "suicide commercial". En fait, c'était un des plus beaux coups de communication visuelle du rock seventies. Et ça n'a rien de péjoratif. Au départ, c'était une vengeance face à certains critiques qui, à l'époque, on l'oublie, faisaient la fine bouche face à Led Zeppelin, les accusant d'être un groupe superficiel pillant le répertoire blues sans toujours citer ses sources, notamment sur le deuxième album. A la place du nom du groupe, Page imagina les fameuses runes représentant chacun des membres, dont le fameux "Zoso" qu'il choisit pour lui-même. Mystérieux, cryptique, ésotérique… (certains disent quand même que Bonham choisit sa rune pour sa ressemblance avec le logo d'une marque de bière..). On pourrait écrire un article entier sur la pochette (le vieillard aux fagots, les HLM, le sage à la lanterne), mais il est vrai que sans elle, l'album sonnerait d'une façon différente.
Enfin, les circonstances de l'enregistrement, tout aussi légendaires, puisque la plupart des morceaux furent enregistrés dans un manoir victorien de l'East Hempshire avec le studio mobile des Rolling Stones, permettant aux musiciens de répéter dans toutes les pièces (voir le bel article de Manœuvre dans sa Discothèque idéale).
Une fois évoqués ces aspects, il reste quasiment l'essentiel en fait . Ce qui fait la force de l'album, c'est sa cohésion et sa parfaite unité esthétique. Le groupe franchit un nouveau palier. Fini le blues-rock à la Cream ou à la Jeff Beck, bien que Page avait déjà pas mal innové dans ses premiers albums. Le troisième album annonçait la couleur, mais séparait en deux faces morceaux électriques et acoustiques. Là encore "Stairway To Heaven", qui démarre sur des arpèges de guitare sèche et se termine dans une apothéose électrique, est symptomatique de la fusion opérée par le quatuor. Led Zep arrive sur "le IV" à faire une synthèse de toutes ses influences musicales : hard rock, avec les deux monstrueux premiers morceaux, "Black Dog" et ses riffs démultipliés, et l'hénaurme "Rock and Roll", fantastique chevauchée à la gloire des années 50, née d'une jam sur un morceau de Little Richard. Le folk anglais et ses références à la mythologie de Tolkien, avec "Battle of Evermore" et le somptueux "Going To California", l'autre ballade, entièrement acoustique celle-ci, de l'album. Des morceaux sortis de nulle part, hybrides et psychédéliques comme "Four Sticks" ou "Misty Mountain Hop"; et en guise de finale, une fantastique reprise d'un vieux standard de blues des années 30 de Memphis Minnie et Kansas Joe, "When The Levee Breaks", la chanson préférée de Page, et c'est bien mérité. Epique, sombre et humide comme une crue du Mississippi (le sujet original de la chanson), avec ses interventions d'harmonica et de slide guitare. La guitare qui est bien sûr la star de cet album, utilisée sous toutes ses coutures, acoustique ou électrique, Fender ou Gibson. On n'oubliera non plus (et on n'en parle jamais assez) le rôle considérable du son de la batterie de Bonham, tellurique, puissante, colonne vertébrale de ce grand reptile musical. Plant y ajoute cette voix androgyne, à contre-pied de la puissance et de la rythmique de la musique. Et John Paul Jones, discret comme un bon bassiste britannique, reste l'arrangeur du groupe, notamment sur "Stairway To Heaven" dont il organisa la lente montée en puissance. La messe étant dite, il ne nous reste plus qu'à nous ruer une fois de plus vers notre exemplaire éprouvé de Led Zeppelin IV.
On se retrouve prochainement, car nous n'allons pas quitter l'année 71 sans faire un petit tour du côté d'un certain fils de pasteur officiant pour la Motown…