jeudi 22 avril 2010

Ali Farka Touré & Toumani Diabaté - Ali & Toumani (2010)



Second enregistrement de ces deux géants de la musique malienne, le lumineux "Ali and Toumani" est aussi le dernier du grand Farka, mort peu de temps après, en 2006. Voyage merveilleux, ode à l'amitié et à la vie : bien plus qu'un disque posthume supplémentaire.


Londres, 2005. Enthousiasmé par "In The Heart Of The Moon", le premier album d'Ali Farka Touré (guitare) et Toumani Diabaté (kora), le producteur et ingénieur du son Nick Gold accepte avec enthousiasme la suggestion de Toumani de réaliser un deuxième enregistrement à Londres des deux musiciens de passage en Europe.

Ali est malade. Le cancer est en train de terminer son travail. Le disque est enregistré en trois après-midis, avec l'aide du grand contrebassiste cubain Orlando 'Cachaíto' López, décédé lui aussi en 2009, et la participation du fils d'Ali, Vieux Farka Touré. Fatigué, le vieux guitariste doit faire des poses de plus en plus longues, mais insiste pour terminer l'enregistrement. On comprend maintenant pourquoi dans sa langue Farka signifie l'âne : pas plus têtu que lui… Comme sur "Heart Of The Moon", et à la demande d'Ali Farka, il n'y eut aucune répétition avant l'enregistrement. Les deux hommes se connaissaient tellement bien qu'il n'y en eut nul besoin, et on les sent soudés comme les doigts de la main à l'écoute de ce nouvel album enchanteur.

Sur les onze morceaux qui le composent, c'est toujours Ali Farka Touré qui joue le thème mélodique, et la kora de Toumani vient s'enrouler autour avec le sens et l'intuition du grand koraïste, qui une fois de plus fait de véritables merveilles avec ses 21 cordes. Les titres s'écoutent presque comme une suite ininterrompue, airs traditionnels des régions respectives des deux compères (le Nord du Mali pour Touré, le Sud mandingue pour Diabaté), improvisations, reprise de vieux succès d'Ali, avec parfois des accents cubains ou bluesy, car Toumani et Ali se sont toujours ouverts aux autres cultures musicales. Cette musique est toujours aussi envoûtante, comme hors du temps et de l'espace. Tout comme son prédécesseur, cet album pourrait servir de parfaite introduction à l'univers de ces deux immenses musiciens.

Si Ali est parti (le Et voilà qui clôture la dernière piste symbolise ce départ), Toumani, qui lui a offert un morceau de son dernier album, continue à faire vivre sa mémoire avec une tournée qui passera le 18 mai par le Casino de Paris, et surtout un projet avec Ry Cooder, qui prévoit de réunir musiciens cubains et africains dans un album à paraître en fin d'année.
En attendant, ce merveilleux disque nous tend les bras.

mercredi 14 avril 2010

1950-52 : La Playlist




Bienvenue pour une nouvelle exploration de l'histoire de la musique avec les lointaines années 1950, tristement oubliées et pourtant bourrées de pépites en tous genres.


1. Georges Brassens – Le Gorille (1952) : l'arrivée de Brassens dans le très sage show biz français est un cataclysme. Evidemment, quand on débute avec un tel brulôt… Un des sommets de la chanson. Le tout sur deux accords de guitare;

2. Hank Williams – Long Gone Lonesome Blues (1950) : Hank senior est lui aussi un monument dans son genre, le plus rock des chanteurs country avant Johnny Cash. Son blues, son romantisme et ses chansons inoubliables font encore fondre les cœurs aujourd'hui;

3. Percy Mayfield - Please Send Me Someone To Love (1950) : Moins connu, ce crooner-songwriter fut surnommé le "poète du blues". Beau gosse défiguré par un accident en 1952, il n'en continua pas moins à écrire, offrant "Hit the Road Jack" à Ray Charles.

4. Billie Holiday – I Only Have Eyes For You (1952) : alors que les ravages de l'alccol et de la drogue commencent à se faire entendre sur sa voix de velours, Lady Day enregistre dans les années 50 avec de petites formations dans un style feutré, très "lounge". Chanson de Duke Ellington, Oscar Peterson au piano, Holiday au chant : que de mande le peuple ?

5. Charlie Parker & Dizzie Gillespie – Bloomdido (1952) : c'est bien sûr l'émergence du be bop qui marque le jazz d'après-guerre. Sur cet enregistrement, trois monstres du style sont réunis : Bird, Diz et Thelonious mOnk au piano.



6. Jackie Brenston & His Delta Cats - Rocket 88 (1951) : c'est Ike Turner, guitariste, auteur-compositeur et découvreur de talents pour Sun à Memphis qui se cache derrière ce titre, considéré par beaucoup comme un des tous premiers authentique rock 'n' rolls.

7. Lester Flatt & Earl Scruggs - Foggy Mountain Breakdown (1950) : en country music, deux styles triophent au lendemain de la guerre : le honky tonk de Hank Williams, qui influencera le rock, et le bluegrass, inventé par Bill Monroe, beaucoup plus roots et campagnard. Earl Scruggs, virtuose du banjo, révolutionne totalement l'usage de cet instrument dans ce classique redécouvert en 1965 dans la bande originale de Bonnie and Clyde.

8. Nat King Cole – Mona Lisa (1951) : grand musicien de jazz et de blues de la côte Ouest, Nat King Cole s'illustre aussi en crooner avec des bluettes pop comme cette adresse à la Joconde, un des plus grands succès des années 50.



9. Blind Blake – John B Sail (Sloop John B) (1951) : la curiosité de cette liste. Entre blues et calypso, ce chanteur des Bahamas signe deux ou trois albums qui sont de véritables pépites. Les Beach Boys, qui reprendront cette chanson sur Pet Sounds, avaient décidément très bon goût. Pour en savoir plus, cliquez ici (lien vers mon blog)

10. Gene Kelly – Singing In the Rain (1952) : encore un immense succès populaire que cette comédie musicale. Indispensable à cette liste, car à la fois archi connu et irrésistible. Mais laissons parler les images.

11. Luis Mariano – Mexico (1950) : impensable aussi de nous quitter sans Mariano Eusebio González y García, le prince de l'opérette. Pas si ringard que ça, mais même pas du tout. Sa maîtrise vocale est tout simplement bluffante. Et en plus c'est drôle !

mardi 6 avril 2010

Gent del Desert - Molles (2009)



Gent Del Desert - La Ciutat y la vinya


Gent del Desert est un groupe de la région de Valence, qui chante exclusivement dans sa langue régionale, une variante du Catalan. Sur ce deuxième album autoproduit, ils marient des textes de poètes locaux avec une musique folk-rock ouverte à de multiples influences, entre tradition et modernité.

C'était au départ une bande d'amis, un collectif du nom d'El Desert de la Paraula, qui se réunissaient régulièrement pour chanter, lire des poèmes et discuter rimes, littérature et musique. Gent del Desert, la branche musicale du mouvement, est née en 2006 grâce à Jesus Barranco, musicien et leader, qui avec son compère Marc Pérez commença à mettre en musique tous ces mots.

Un premier album, “El Pèndol i la Terra”, est sorti en 2007, où les textes étaient scandés (façon "spoken word" à la Gil Scott Heron) sur des musiques traditionelles et où la guitare, le plus souvent espagnole, se taillait la part du lion.

Sur "Molles", paru en 2009, le groupe a passé un cap. Le chant est beaucoup plus utilisé, et surtout la musique prend une tournure plus rock, plus "produite", avec un véritable groupe et de nombreux musiciens, fonctionnant, à la manière des posses du hip-hop, comme un collectif, avec un noyau dur autout duquel gravitent musiciens et poètes invités.

Avant d'aller plus loin, un petit exposé du contexte culturel s'impose : le Catalan du pays valencien, la langue dans laquelle nos amis s'expriment exclusivement, a été victime, comme toutes les langues locales de l'Espagne, d'un véritable phénomène de répression de la part du gouvernement central depuis le 18è siècle. Interdit sous Franco, banni des écoles, des théâtres et des documents publics, le catalan résistait, notamment avec la canço apparue dans les années soixante et dont les plus célèbres représentants furent Luis Llach, Joan manuel Serrat, ou Raimon pour le Valencien. Curieusement, la movida des années 80, dans son "modernisme" affiché, sonna le glas de la canço et la résurgence de la musique régionale ne se fit massivement que dans les années 1990 et 2000. Aujourd'hui la musique en valencien se porte plutôt bien, et la langue est chantée non seulement par des groupes à vocation folk mais aussi par des rappers, des musiciens électro ou des rockers.

Molles, avec ces sonorités plus "mondiales", participe de cet affranchissement, et le groupe regarde désormais à la fois vers l'intérieur, la tradition, le passé, mais aussi vers l'extérieur, en incorporant de multiples influences, ce qui rend l'écoute agréable et jamais monotone. On ne sait jamais vraiment ce qu'ils nous résèrvent pour la prochaine chanson, et même si parfois on est au bord de l'éparpillement, cet éclectisme a le mérite de ne jamais nous endormir. Disons que le son de Gente del Desert s'articule autour d'une base folk-rock méditerranéen, avec des incursions vers les musiques latino-américaines, le reggae, et un parfum d'épices venues d'Afrique. Côté instruments, c'est la profusion : aux guitares, basses et batterie viennent s'ajouter au gré des morceaux accordéon, banjos, guimbardes, mandolines, pedal steel, kazoo, harmonicas, tubas, pianos et toutes sortes de percussions, bref un bastringue à rendre jaloux Tom Waits ou les Pogues, même si par moments là aussi on est au bord de l'encombrement.

A l'instar de leurs homologues français des Fabulous Trobadors ou Moussu T E Lei Jovents, ils assimilent les musiques d'autres peuples pour mieux mettre en valeur leur propre culture.

Les textes bien sûr sont très importants, mais le Valencien, plus proche du Français que l'espagnol castillan, nous révèle du sens par bribes, comme à travers un maillage. Les traductions gracieusement fournies par l'entourage du groupe m'ont fait découvrir des textes variés, puisqu'une dizaine d'auteurs différents, vivants ou disparus, sont repris dans l'album. On y trouve notamment une magnifique chanson d'immigrants, La Ciutat y la vinya, sur le travail saisonnier des Valenciens dans le Rousillon; un souvenir d'enfance avec El Record, véritable scénario à la Almodovar sur des gamins qui passent tous les jours devant un bar à putes, sur fond de valse western avec piano de saloon et pedal steel guitar; ou encore, la chanson-gag Education for citizenship qui ridiculise le gouvernement conservateur de la communauté valencienne auteur d'un projet absurde de cours d'éducation civique…en Anglais.

Bref, un groupe prometteur, qui, on l'espère, travaille à un nouvel album.

Gent del Desert sur Myspace