lundi 30 novembre 2009

Levon Helm : Electric Dirt (2009)





(un extrait à écouter dans le juke box à droite)

On ne change pas une équipe qui gagne : l'ex batteur du Band, 69 ans, reprend les mêmes (son prod Larry Campbell, sa fille Amy), mais cette fois il a payé sa facture EDF et nous offre un somptueux album électrique, toujours aussi roots.

Il n'y a pas d'âge pour relancer une carrière. Levon Helm, légende des sixties et des seventies, "le plus cool des batteurs-chanteurs de tous les temps" (selon le New York Mag), est de retour depuis deux ans déjà. En 2007, il sortait Dirt Farmer , épaulé par le producteur Larry Campbell et sa fille Amy Helm. Un album qui rendait hommage à la vieille country music et à ses parents, fermiers dans l'Arkansas. A noter qu'il sortait tout juste d'un cancer de la gorge.

Un Grammy Award plus tard, Levon a repris les mêmes sans toutefois livrer la copie de son précédent opus : d'abord, comme son nom l'indique son nouvel album est plus électrique, et plus éclectique aussi, s'ouvrant notamment à des musiques plus swingantes. "Electric Dirt" s'ouvre sur le joyeux Tennesse Jed des vieux compagnons de route Grateful Dead, aborde les côtes de la Louisiane avec l'acerbe Kingfish de Randy Newman (arrangé par une autre légende vivante, Allen Toussaint), fait un tour à l'église avec le très gospel Moving On Train des Staple Singers, et passe par les plantations du Delta pour deux titres de Muddy Waters, qui, s'ils ne font pas oublier le Maître, font du bien là où ils passent. Campbell prouve s'il en est encore besoin son feeling de producteur et de musicien avec par exemple une belle partie de mandoline sur You Can't Loose What You Ain' Never Had du même Muddy.

Les amateurs de folk des Appalaches n'ont pas été oubliés non plus, avec le poignant Golden Bird et son intro de fiddle qui sent bon les années 20.

Mais c'est sans doute sur sa seule composition de l'album, Growing Trade, que Levon Helm frappe le plus fort. Une chanson sur le dur métier de fermier, ses joies et ses peines (un fermier obligé de cultiver de la marijuana pour survivre), mais surtout une formidable chanson du Band, qui nous ramène "back to the days", avec ce son inimitable de batterie, cette voix qui a gagné en puissance à force que s'éloigne le spectre du cancer, et ce thème du retour à la terre et aux valeurs simples que prônaient Helm, Robinson, Danko et les autres sur "Music From Big Pink " (1968). En ces temps où la musique s'urbanise à vitesse grand V, il fait bon respirer le bon air de la campagne de temps à autre.

Une autre constante de ce beau disque (qui à mon goût surpasse le précédent) est le plaisir qu'ils ont pris à le faire, comme on le verra sur le clip ci-joint. Et "Electric Dirt", album fait à la coule, sans pression et en famille se termine sur le débridé et contagieux shuffle soul de I Wish I Knew How It Feels To Be Free de Nina Simone, une ode à la liberté et à la renaissance à soi-même. Chose que musicalement, Levon Helm a pleinement réussie.

Un petit clip sur le making-of de l'album.

1974 : La Playlist



(N'oubliez pas de faire péter le son dans le jukebox ci-contre)


1974 : année curieuse. Alors qu’un certain groupe Abba gagne l’Eurovision pour la Suède, le disco devient un style de musique à part entière pour le Billboard, les Talking Heads et les Ramones se forment, et surtout une tripotée d’albums zarbis et uniques en leur genre voient le jour. Bande son.


1. Robert Wyatt (photo) - Sea Song : une chanson à la beauté étrange, envoûtante, qui ouvre le sublime et extraterrestre Rock Bottom.

2. Kraftwerk – Autobahn : 1974 est une année incroyable, où se révèlent toutes sortes de groupes expérimentaux qui deviendront cultes dix ans plus tard. Parmi eux, les pionniers allemenads de l’electro et du synthétiseur frappent fort avec cette longue suite qui couvrait toute la première face de leur album du même nom.

3. Lynyrd Skynyrd – Sweet Home Alabama : contraste ? à peine… Chanson controversée (voir chronique sur l’album) et tube imparable, « Sweet Home Alabama » et son riff de guitare immortel symbolise à elle seule la fougue du rock sudiste.

4. Big Star – September Gurls : groupe culte parmi les cultes, le Big Star d’Alex Chilton et Chris Bell invente la power-pop, trait d’union entre les sixties et le punk.

5. Professor Longhair (photo) – Tipitina : Ce très grand pianiste de la Nouvelle Orléans enregistre cette année-là un album extraordianaire en compagnie des pointures de la ville où il sublime ses grands standards des années 40-50. irrésistiblement groovy.



6. The Sparks – This Town Ain’t Big Enough For Both Of Us : Gros succès outre-manche, un autre single culte d’un des duos les plus originaux et excentriques de l’histoire de la pop. Un vrai objet sonore non identifié, avec cette voix funambule de falsetto et un son qui annonce les eighties avant l’heure.

7. Al Green – Take Me To The River : un jour, dans un hôtel au Ladakh, j’ai vu une carpe en plastique qui, quand on la mettait en route, chantait cette chanson et “Don’t Worry Be Happy”. Depuis chaque fois que j’entends ce tube d’Al Green, je pense à la carpe.

8. Patti Labelle – Lady Marmalade : Si je vous dis “Voulez vous coucher avec moi ? (non, aîe, pas sur la tête, la chanson, je veux dire !), je suis sûr que ça vous parlera. Typique de la mutation de la soul en disco.

9. Bonga – Saudade : Superbe chanteur romantique angolais, Bonga mêlait les rythmes africains et le fado bien avant Cesaria Evora. Superbe et à découvrir si vous n’aimez pas déjà.

10. Gil Scott Heron – The Bottle : l’inventeur de Jamiroquai était aussi poète (et écrivain, auteur de l’excellent Vautour), comme en témoigne cette superbe chanson.

mercredi 18 novembre 2009

Iggy Pop : Préliminaires (2009)



Pour son nouvel opus, l'iguane abandonne le rock métallisé et s'invente en crooner fan de Houellebecq. La démarche est louable mais le résultat pas toujours à la hauteur, surtout vu de ce côté de l'Atlantique.

Iggy Pop est un grand chanteur. Une des voix les plus reconnaissables, les plus fortes du rock. Et comme c'est le cas pour la plupart des grands chanteurs, sa voix vieillit comme du bon vin.

On pouvait donc se dire qu'un album moins rock, plus "pop" au sens américain du terme (en français on pourrait dire "chanson" tout simplement), c'était une assez bonne promesse avec un tel interprète. D'autant que l'homme a déjà évoulé dans ces registres. Après tout ses deux grands chefs d'œuvre de 1977, Lust For Life et The Idiot, co-signés avec Bowie après la furie stoogienne du début seventies, c'était déjà un démarquage qui tendait à prouver que l'Iguane était bien plus qu'un exhibitionniste cramé et destroy abonné au punk rock binaire.

Dès le printemps dernier on annonçait donc un album intello, jazzy, inspiré de La Possibilité d'une île de Houellebecq, et bardé de références cultureuses et francophiles. L'iguane lui-même s'annonçait lassé du rock de voyous, et le chevalier des Arts et des Lettres qu'il est depuis 2003 (décoré le même jour que Carla Bruni) citait Antonin Artaud dans ses interviews aux journaux français.

On tombe de haut cependant lorsqu'Iggy, en ouverture de Préliminaires, sussure "Les Feuilles mortes" de Prévert et Cosma avec un accent à couper au couteau sur fond de synthés et de boîtes à rythme. Si elle peu paraître exotique à l'auditeur de Detroit ou de Brooklyn, cette intro kitschissime risque de nettement moins bien passer à Angoulême ou à Levallois-Perret.

Passé ce.. préliminaire, l'écoute révèle en fait un ensemble assez hétéroclite musicalement : du jazz bien sûr, avec le morceau de bravoure "King Of the Dogs" et ses arrangements New Orleans, mais aussi du rock à guitares plus familier ("Je sais que tu sais", "Nice To Be Dead"), de l'electro-pop ("Party Time") et une bonne doses de ballades entre Gainsbourg et Léonard Cohen période I'm Your Man.

Le problème étant que même sur les morceaux les plus réussis comme "King Of the Dogs" ou le très littéraire "A Machine For Loving" cosigné par Houellebecq, la sauce ne prend jamais tout à fait. Les chansons, trop dépareillées, manquent de souvent de solidité dans l'écriture, malgré une interprétation comme toujours sincère et parfois touchante. Alors évidemment on se prend à regretter la plume et la touche de Bowie, ce qui n'est pas très sympa et rajeunissant pour Iggy qui reste un personnage attachant, vif, sachant parfois quitter les sentiers battus. C'est bien le seul mérite de cet album plutôt décevant.

L'Iguane, lui, a l'intention de persister dans la pop puisqu'il préparerait même un album de Noël, comme un vrai bon crooner américain.

Paru sur etatcritique.com le 2 nov 2009