samedi 28 février 2009

Meilleur album de 1970 : Neil Young - After The Gold Rush

(publié sur etat-critique.com le 1er mars)



Entrons de plain pied dans ce nouveau cycle années 70 avec un disque miraculeux, qui est à la fois un favori personnel et un chouchou des anthologies en tous genres. On se lève tous pour Neil Young !

Alors que débute l'année 1970, Neil Young est un homme très occupé, jouant avec deux groupes à la fois : "son" Crazy Horse, avec lequel il a déjà publié Everybody Knows This Is Nowhere l'année précédente, et Crosby, Stills, Nash & Young , alors au faîte de leur popularité. Enregistrements, concerts, tournées se suivent sans relâche, mais Neil a tout de même le temps de travailler sur un projet d'album solo.

Le chanteur est éreinté par l'aventure CSNY, super-groupe adulé mais miné par les tensions internes et les contradictions. Quatre icônes hippies qui prêchent l'amour sur scène et se chamaillent, voire en viennent aux mains, dès qu'ils en sortent. Neil Young aspire au calme, à l'intimité, et imagine un projet beaucoup plus simple et spontané que la musique très travaillée du quatuor.
Il veut un album "de la qualité de ceux de la fin des années 50 ou des sixties, des Everly Brothers ou de Roy Orbison." " They were made at once", ajoute-t-il, ce qui veut dire à la fois qu'ils étaient enregistrés rapidement, et en live. Finis les séances de studio où chacun enregistre sa partie dans son coin, en 49 prises. Neil, et c'est ce qui fait son génie particulier, a toujours privilégié la clarté, la simplicité, l'immédiateté, et cela se ressent particulièrement dans After the Gold Rush, un de ses albums les plus dépouillés et les plus limpides.

Pourtant, les circonstances de l'enregistrement furent plutôt chaotiques. Young voulait s'appuyer sur les rustiques Crazy Horse pour l'accompagner, mais le guitariste Danny Whitten devient accro à l'héroïne juste à ce moment-là, en mai 1970, et se révèle vite ingérable. Neil Young, toujours épidermique, vire tout le groupe sans ménagement et se retrouve tout seul. Il fait alors appel en urgence à Greg Reeves, ex-bassiste de CSNY, et surtout ancien musicien de session des studios Motown, puis à Stephen Stills qui vient faire quelques choeurs. Peu après, il se souvient de Nils Lofgren, jeune guitariste de 19 ans qui s'était invité dans sa loge lors de la tournée CSNY et lui avait tenu la jambe une demi-heure. Impressionné par son talent et son culot, Young rappelle Lofgren mais l'engage pour jouer… du piano, instrument qu'il ne maîtrise pas totalement. Un coup de bluff typique du Canadien, mais qui s'avérera payant : la combinaison entre le jeu simple de Lofgren, la batterie sans fioritures de Ralph Molina, rappelé de Crazy Horse, et la basse galopante et experte de Reeves sert magnifiquement les chansons.

Dans ce domaine, le Canadien est d'une fécondité hallucinante : "c'était comme si les chansons coulaient de lui", se souvient Lofgren (aujourd'hui guitariste de Springsteen). Le producteur David Briggs raconte comment Young "s'asseyait en haut dans le salon pour travailler à une chanson, et puis on descendait tous au sous-sol, on faisait tourner les bandes et c'était parti". Car la plupart de l'album fut enregistré dans la maison de Neil à Copanga Canyon, et en quelques jours, ce qui ne manqua pas d'inquiéter Young, qui se demandait si quelque chose de fait aussi rapidement pourrait être si bon que ça.

Ce fut d'ailleurs, dans un premier temps, la réaction des critiques. Rolling Stone, par exemple, éreinta l'album (ils se sont rattrappés depuis). En revanche, le public suivit avec enthousiasme : After The Gold Rush, premier grand chef d'œuvre de Neil Young, marque définitivement son entrée dans la cour des grands. Onze chansons de rêve, avec une majorité de tempos lents et de sonorités acoustiques, et puis bien sûr "Southern Man", le morceau de bravoure éléctrique que le loner avait testé sur scène avec CSNY; deux ballades apocalyptiques et délicates à la fois (le morceau-titre et "Don't Let It Bring You Down"), deux superbes chansons d'amour ("Birds "et "I Believe In You"), deux pépites folk ( "Tell Me Why" ou "Only Love Can Break Your Heart" et ses chœurs célèstes). J'arrête là l'énumération par manque de place : chacune mérite d'être citée. La voix de Neil Young, très haut perchée, énigmatique comme ses textes, ajoute à l'ensemble un cachet unique. C'est simple, mystérieux, nostalgique sans jamais sombrer dans la déprime, sombre par instants, joyeux par d'autres, et terriblement mélodique. Le public ne s'y trompe pas, qui résèrve au chanteur un accueil triomphal lors de la tournée qui suivra.

Et les aléas continueront de jalonner et de façonner la carrière du grand Neil. Quelques semaines après l'enregistrement, il se bloque le dos en soulevant une lourde pièce de bois. C'est le début de ses problèmes de vertèbres qui à terme lui rendront douloureux un usage prolongé de la guitare électrique pendant deux ans; cela donnera Harvest, mais ça, c'est une autre histoire…


D'autres posts suivront sur cette inépuisable année 1970. C'est quand même autre chose que les eighties !

En bonus, la version originale de la seule reprise de l'album :



Découvrez Neil Young!

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